vendredi 17 juillet 2020

Gérer les mauvais jets (à répétition)

 
Après avoir échappé aux dangers d'une jungle hostile, le groupe de héros s'apprête à affronter l'horrible monstre qui se cache dans les ruines oubliées. Le guerrier s'élance, haches à la main... et frappe à côté ! Sa compagne brandit son épée à deux mains... et fend l'air sans toucher la bête pourtant gigantesque. C'est au tour de l'archer de... rater sa cible. Voici que le monstre tend ses quatre énormes bras griffus vers les héros malheureux pour les étriper... mais, lui aussi échoue à 4 reprises.
Dans ces moments là, les joueurs sentent que l'on est subitement passé du style héroïque au style comique. Était-ce volontaire ? Non. Les dés ont simplement décidé de tourner les personnages en ridicule, et de rendre grotesque un monstre qui aurait du être terrifiant.
Ce n'est pas la première fois que je remets en cause le rôle des dés dans les jeux de rôle, et ce thème est d'ailleurs largement abordé dans la plupart des manuels de maître. Ce que je vous propose ici, c'est une solution à un soucis que vous partagez peut être à votre table : comment préserver un style héroïque en dépit d'une succession de jets malheureux ?

Avertissement : Cet article est un développement d'un précédent article sur le thème de la modération des jets. Comme vous pourrez le constater à la date du premier article, cette problématique m'intéresse depuis longtemps déjà ;)

Ce qui me motive, dans un jeu de rôle, c'est de voir des actions se résoudre en créant du jeu. 
Il peut être amusant de décrire des échecs inattendus, ces fameux "fumbles" qui font généralement le bonheur des joueurs, mais cela doit rester exceptionnel, sans quoi le jeu devient ridicule. 
"Ah ah ah ! Ton personnage veut sortir sa baguette magique mais tout le contenu de son sac s'éparpille au sol ! C'est pas pire que le guerrier qui a trébuché sur un petit cailloux en chargeant tout à l'heure ! Oh oh oh ! Ou que l'archer qui lui a tiré dessus par erreur..." 

Quant aux échecs "simples" et sans conséquence, ils n'apportent rien à l'action et deviennent vite embarrassants à expliquer. Pourquoi l'archer n'arrive-t-il pas à ajuster son tir sur un monstre aussi énorme ? Voilà déjà trois fois qu'il s'y reprend... Peut être devrait-il songer à changer de profession ? 
Un joueur qui n'arrive à rien pendant une demi heure de jeu et qui ne décroche pas malgré tout est une perle rare. Si vous en avez comme ça dans votre groupe de jeu, vous êtes chanceux. Sinon, c'est que vous avez des joueurs normaux, avec une attente normale : celle de s'amuser.

Ce qui valable pour les héros l'est également pour les menaces qu'ils affrontent. Un monstre qui échoue systématiquement ne restera pas terrifiant bien longtemps. Pour des questions d'ambiance et de cohérence de l'histoire, certains adversaires "doivent" logiquement être en mesure de menacer sérieusement les héros. 

Voici donc quelques solutions pour répondre à ces soucis :

1 - Résolution par la narration : l'échec est l'expression d'une opposition remarquable

C'est là que je vous case mon jeu de mot : "Héros, pas zéros !" Le guerrier échoue à toucher le monstre qu'il affronte parce que ce dernier est d'une vivacité surprenante. En terme de narration, on inverse le point de vue pour rendre hommage à celui à qui l'action profite : ce n'est pas le guerrier qui échoue mais le monstre qui réussit à esquiver une attaque mortelle.
Cela peut aussi s'appliquer aux opposition non actives, comme une serrure à crocheter par exemple : ce n'est pas le roublard qui ne sait plus crocheter une serrure mais cette serrure qui est particulièrement complexe. Le personnage reste valorisé, même dans l'échec.
Cette solution maintient une approche épique dans la narration, sans tourner les protagonistes en ridicule ni donner l'impression qu'"il ne se passe rien". 
Comme pour toutes les ficelles de narrateur, toutefois, si vous en usez trop dans une même scène l'illusion finit par tomber. D'où les autres solutions qui suivent :

2 - Résolution par l'improvisation : l'échec est une réussite partielle ou accompagnée d'une contrepartie

Grand classique dans de nombreux systèmes de jeu, la résolution des échecs sous forme de réussites partielles ou accompagnées de contreparties permet de toujours laisser les actions se résoudre, quels que soient les résultats des dés. 
Dans une réussite partielle l'action aboutit, mais avec moins d'éclat qu'elle ne devrait. Le crochetage de la serrure pend bien plus de temps qu'il n'aurait été nécessaire avec un meilleur jet, ou l'attaque passe mais n'inflige que la moitié des dégâts normaux, par exemple. 
Une réussite avec contrepartie s'accompagne d'un effet indésirable. Le roublard casse son dernier  crochet, ou bien il n'a pas agi assez discrètement et un garde le repère. La guerrier passe effectivement la garde de son adversaire, mais son coup audacieux le laisse sans défense face aux prochaines attaques de ses ennemis.
Cette solution permet de continuellement créer du jeu, en ajoutant de nouveaux éléments narratifs à la partie, mais elle a tout de même une condition de réalisation pas toujours évidente : l'inspiration ! Et même si vous n'en manquez jamais, n'en faites pas trop non plus, sous peine de surcharger le jeu (en particulier les combats, qui sont généralement déjà bien assez long).

3 - Résolution par les règles : l'échec complet n'est possible que dans des cas limités

Les règles peuvent vous servir à maîtriser l'impact des mauvais jets. Pour Donjons et Dragons 5, je propose par exemple la règle suivante, qui s'applique aussi bien aux joueurs qu'au MJ :

Quand vous lancez les dés pour une action où vous ajoutez votre bonus de maîtrise, vous pouvez modifier le résultat du dé par 5 (pour un jet de sauvegarde) ou par 10 (pour les autres jets).

Cette règle s'inspire de la capacité "talent" acquise par le roublard au niveau 11. La capacité a été étendue à tous les types de jets, et pas seulement aux jets de compétence, avec une limitation pour les jets de sauvegarde, de façon à éviter l'écueil d'une "immunité" aux effets trop facile à atteindre.
Pour compenser la perte d'un avantage propre à sa classe, la capacité "talent" du roublard reste présente, mais avec un score assuré de 15 sur les compétences maîtrisées.
Cette solution n'empêche pas tous les échecs, et c'est tant mieux ! Elle empêche uniquement les protagonistes (PJ comme PNJ) de se couvrir de ridicule dans des domaines qu'ils sont sensés "maîtriser". Le guerrier touchera toujours un gobelin mal équipé, et le roublard crochètera toujours les serrures les plus basiques. Cette règle créé également une différence plus nette entre les personnages, selon leurs maîtrises mais aussi leurs scores de caractéristique (parce que le seuil de réussite minimum est plus important ici), ce qui, de mon point de vue, est plutôt positif.


Conclusion

Le solutions ne manquent pas pour préserver une dimension épique aux parties, même quand les dés ont décidé de ne sortir que des résultats calamiteux. L'idée n'est pas de se passer des lancers de dés, qui constituent généralement une bonne part du plaisir dans les jeux de rôle, mais bien d'en garder le meilleur, et de les interpréter toujours dans le sens de l'action et du jeu ! 
J'espère que cet article vous aura intéressé :) Si vous avez des idées sur d'autres thèmes que vous voudriez que j'aborde, contactez moi pour m'en parler ;)

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